Métapolitique et Infrapolitique

Le sol boueux des idées qui ne poussent   Personne ne sait mieux que nous à quel…

Julien ROCHEDY

Le sol boueux des idées qui ne poussent

 

Personne ne sait mieux que nous à quel point la politique a irrémédiablement besoin de métapolitique pour se déployer au-delà du seul périmètre de la minable et prosaïque prise de pouvoir, suivie du trivial et quotidien exercice du pouvoir. Pour rendre le pouvoir signifiant, s’inscrivant plus profondément et plus durablement dans la société qu’il se propose de gouverner, il faut avoir travaillé en parallèle sur tout ce qui l’entoure, et mieux : sur les principes qui le gouverne lui-même. La métapolitique conduit ainsi la politique, ou doit la conduire, aussi sûrement que la métaphysique restait, naguère, la maîtresse des matériaux et des recherches purement physiques. Le concept de métapolitique, ainsi conçu comme combat idéologique et culturel dont le politique, stricto sensus, ne serait que l’effet, l’aboutissement, pour ne pas dire l’élève, fut formulé pour la première fois en France par Joseph de Maistre dans ses Considérations sur la France (1797) avant d’être popularisé par la Nouvelle Droite dans les années soixante-dix. Nous autres, nous la connaissons donc fort bien – mais se pourrait-il que nous ne la connaissions que trop ?

La métapolitique doit gouverner la politique, soit ; mais qu’est-ce qui, avant toute chose, permet simplement la politique ? Car voici le problème majeur auquel nous devons faire face aujourd’hui : les individus sont-ils encore capables de politique ?

La politique est en réalité la face émergée d’un iceberg dont l’essentiel est composé fatalement d’éléments pré-politiques. Elle n’est rendue possible que grâce à la préexistence de familles, de croyances éventuelles, d’individus sociabilisés par un commerce déjà établi depuis longtemps entre eux. L’organisation politique se rend nécessaire (ou s’impose) pour structurer et développer ces bases humaines sans lesquelles aucune société n’est envisageable. Autrement dit, les études anthropologiques devraient être au fondement de toute étude politique un peu sérieuse. On ne comprend la politique d’une nation qu’à l’aide d’une analyse anthropologique, celle-ci comprenant à la fois des recherches sociologiques, historiques, culturelles, religieuses, démographiques, et, oserai-je dire, physiques (ou raciales). En somme, il faut mille état des choses pour déboucher sur un État. Ce qui nous amène donc à la catastrophe actuelle : nous avons perdu presque toutes les conditions pré-politiques qui soutiennent la politique. Or, à quoi bon la métapolitique s’il manque les prérequis à la politique la plus élémentaire ?

Nous voici par conséquent arrivés à un temps déconcertant où la métapolitique, pour encore s’engendrer, doit descendre jusqu’au bas fond de ce que l’on pourrait nommer l’infrapolitique. Hier, les hommes pouvaient débattre et s’assassiner entre eux sur des questions idéologiques, mais ils n’avaient cette chance que dans la mesure où ils s’appuyaient sur des postulats anthropologiques solides et assurés. Le communiste communiant dans son matérialisme historique pouvait affronter le bourgeois récitant son catéchisme libéral ou le fasciste empli de sa philosophie vitaliste car tous, au fond, parlaient le même langage, avaient plus ou moins les mêmes références intellectuelles issues de lectures communes, notamment dans l’enfance (je pense, parmi tant d‘autres, à la correspondance de Romain Rolland avec Alphonse de Chateaubriand), parce que tous venaient d’une civilisation aux murs porteurs communs, qu’ils fussent rejetés ou embrassés, comme le christianisme, une culture gréco-romaine, des familles monogames, traditionnelles et ancrées dans des terroirs, et beaucoup d’autres ferments en partage qui, en vérité, fabriquaient des hommes, à tous les sens du terme, lesquels pouvaient ensuite se payer le luxe de la disputatio intellectuelle. Mais rien ne ressemble moins à ce portrait que notre société actuelle, remplie, elle, d’homme peu construits, à demi-construits, déconstruits, suspendus dans un vide culturel sidérant, n’ayant plus de familles, aucune lecture en commun, enfermés dans un horizon au pire individualiste, au mieux tribal, certains sans religion, d’autres avec trop, une fourmilière de sous-humains aux origines variées, bariolées, chaotiques, déformés intellectuellement, in-formés plutôt, mélangés culturellement quand il reste encore de la culture, tout un tas de pauvre hères bouleversés aux structurations anthropologiques si légères qu’ils ne se maintiennent en société que par la grâce d’un lien économique, c’est-à-dire un lien à peine fonctionnel, à peine opérant, un lien pratique que la moindre crise pourrait défaire en un instant.

L’anthropologie fait la politique, la politique fait l’idéologique. Nous assistons à un désastre anthropologique que dissimule de plus en plus mal le politique qui la recouvre. Elle finira par s’effondrer sur le sol fracturée et dorénavant boueux de notre anthropologie défaillante. Alors, la métapolitique, l’idéologique dans tout cela ? Qu’ils se préoccupent désormais, comme la métaphysique de l’autre autrefois, de notre sol. L’heure est à l’infrapolitique, autre manière de dire qu’il nous faut à nouveau, et sans doute plus que jamais, « cultiver notre jardin ». Actuellement, plus rien n’y peut pousser, et encore moins des idées.

 

Julien Rochedy

Partager sur

  • facebook
  • linkedin
  • twitter
flower
leaf

Éditions du Royaume

Hétairie devient Éditions du Royaume et étend la gamme de ses ouvrages à des auteurs étrangers traduits en français et disponible exclusivement sur notre site.