L’après-demain ou rien

Dans le célèbre Avant-Propos de son impitoyable Antéchrist (1888), Nietzsche écrit : « C’est l’après-demain seulement qui m’appartient », car,…

Julien ROCHEDY

Dans le célèbre Avant-Propos de son impitoyable Antéchrist (1888), Nietzsche écrit : « C’est l’après-demain seulement qui m’appartient », car, dit-il, les conditions pour véritablement le comprendre ne sont pas encore réunies. Il faudrait, pour cela, être « [] au-dessus du misérable bavardage contemporain de politique et d’égoïsme nationaux » qui bourdonne hélas toujours aujourd’hui. Mais s’il appartient au présent de bruisser d’une imbécillité immédiate, il reste au pensant de songer aux réalités postdates. Par conséquent, le de-venir seul nous préoccupe vraiment, nous autres les préoccupés du -venir qui se profile, nous autres les « réfléchissants » sur lesquels quelques lumières lointaines se réfléchissent parfois (définition même de la réflexion, en vérité : réfléchir quelques lumières). À ce titre, nous devrions nous affirmer davantage et tenter quelques coups d’État réflexifs contre la quotidienne république de l’instant. Que pourrions-nous donc conjecturer à l’heure présente ? De quoi l’après-demain sera-t-il fait ? Dans toutes les projections du possible, nous devons jongler entre le probable et le certain, et échafauder par-là la seule politique qui vaille : non celle du jour, celle du jour d’après. Lorsque les mirages du vivre-ensemble se seront inévitablement dissipés dans l’atmosphère sèche et roide d’une réalité marquée par un désastre financier, social et environnemental. Financier d’abord, en effet, tant la monstrueuse dette sur lequel tout le système repose viendra un jour désespérer une économie à court de nouveaux systèmes de Ponzi et de méthodes Coué. Quand on réalisera que l’Intelligence Artificielle sera loin d’apporter la richesse escomptée, quand l’énergie se renchérira désespérément et quand la démographie plongera à cause de la baisse dramatique de la natalité de tous les pays industriels. Cette absence de bras, de cerveaux et de désirs nouveaux entraînera le marché mondial dans l’une des plus formidables crise que le capitalisme aura connu, car on s’apercevra vite que les individus qui nourrissaient le système ne sont pas remplaçables par une opération bêtement numérique consistant à accueillir partout plus d’Africains, de Pakistanais ou d’Indiens, ceux que l’autre dernier grand désastre, l’environnemental, mettra d’autant plus facilement partout sur les routes de la déréliction mondiale. Ces pauvres hères concourront à l’apocalypse sociale qui secourra alors violemment notre univers. Ils ajouteront partout des flambées ethniques au brasier global ; et c’est à cet instant que les peuples natifs d’Europe occidentale se rattacheront tous au seul bien qui reste aux pauvres selon Jean Jaurès, ou aux sots selon Samuel Johnson, à savoir la patrie. Les différents drapeaux nationaux sortiront alors ici et là une dernière fois pour exprimer une révolte identitaire qui, en vérité, ne sera que le masque d’un besoin vital de nouvelles solidarités organiques au milieu du chaos fonctionnel. Ici cependant, la prévision hésite : ces solidarités natives triompheront-elles ou seront-elles étouffées par la masse immigrée qui imposera ses propres ordres (comme celui de l’Islam) à nos sociétés ébranlées ? Avec optimisme, nous supposons que les Européens finiront par gagner et par reprendre le contrôle de leur destin. Ainsi ils devront gérer plus ou moins bien la dépression économique en tentant de relancer la machine une fois l’avoir purgée de ses dettes infernales et après avoir pu se réinvestir, intellectuellement et matériellement, dans de grands projets plus innovants, plus écologistes peut-être et en tout cas plus réalistes. Ils se regarderont alors et comprendront que les drapeaux des « égoïsmes nationaux » qui leur auront servi d’étendards utiles à leur réaction identitaire se révèlent aussi datés et qu’incapables de faire face au monde nouvellement engendré. Se rappelant des heures sombres et des combats qu’ils auront menés chacun de leur côté pour des identités qui, en fond, se ressemblent tant, ils en concluront à l’impérieuse nécessité de forger une nouvelle organisation européenne pour défendre et promouvoir leur civilisation sur un globe désormais partagé entre continents-civilisations parfois alliés, le plus souvent hostiles. Voilà, je vous le dis, de quoi « l’après-demain » sera fait, et voilà ce à quoi nous, nous devons déjà penser.

Tout le reste, ce n’est rien : c’est déjà demain.

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